Commémoration 50ème Anniversaire 11 mai 1994

Discours du docteur René Goudal, déporté des camps de concentration.

Mercredi 11 mai 1994,

A tous les déportés du Ségala et leurs familles.
Surtout aux meilleurs d’entre nous morts dans d’indicibles souffrances
Aux survivants, pour qu’ils portent témoignage
A nos enfants, et aux enfants de nos enfants pour qu’ils n’oublient jamais
J’ai voulu surtout sortir de l’oubli tous nos camarades décédés, dans les camps de concentration.
Ce fut pour nous tous à la fois une aventure et un drame

Mesdames, Messieurs,

Il y a 50 ans, le même jour qu’aujourd’hui, dans ce même pré, à ce même endroit, à cette même place, à cette même heure,

Toute la population valide de Latronquière était rassemblée comme vous aujourd’hui.

Mais elle, c’était par les hordes Nazis, ces dangereux SS à tête de mort de la Division Das Reich, venus en représailles. Il y a un demi siècle, la folie meurtrière, la haine des vainqueurs arrogants qui faisaient régner la Terreur et la Mort.

Nous les survivants, notre devoir, c’est de nous souvenir et de transmettre ce souvenir, surtout aux jeunes, pour qu’ils ne connaissent plus jamais cela.

Notre devoir, c’est de témoigner. Nous sommes ici deux survivants seulement et en ce moment que de souvenirs se bousculent dans notre mémoire. Peut-on imaginer, l’inimaginable. Peut-on parler, de ce dont il n’y a aucun mot pour le dire.

Nous sommes partis d’abord enfermés comme des bêtes dans l’étable de Maurice ESCASSUT. Soudain on voit des flammes d’une maison en feu, où se trouve actuellement le Crédit Agricole.

Des camions nous amènent passer la nuit dans les caves à charbon du Lycée Clément Marot à Cahors. Le lendemain matin, d’autres camions nous conduisent à la caserne de Montauban.

Nous y arrivons un jour de marché, dans l’indifférence quasi générale. J’en suis très surpris. Nous n’avions rien mangé depuis notre arrestation.

Au 3ème jour, la ville de Montauban nous apporte un peu d’alimentation. Entre temps, les interrogatoires, les camarades fusillés, la faim, la soif, la sélection, nous sommes devenus pour les Allemands des Terroristes. Ils nous amènent en wagons à bestiaux, à 100 par wagon au camp de Compiègne.

Le 4 juin, nous sommes embarqués à coup de schlague, entassés dans les wagons à bestiaux à 100 et parfois plus pour le grand camp de Neuengamme.

Le voyage durera 3 jours – debout sans manger, sans boire et sans dormir ; beaucoup y meurent, d’autres y perdent la raison.

L’arrivée au grand Camp de Concentration et d’Extermination, toujours à grands coups de schalgue, nous sommes parqués sur une grande place, la musique arrive, les potences aussi, les pendaisons commencent en musique…c’est l’horreur.

Nous allons dans des baraquements, tassés, ne pouvant dormir, un peu de jus de rutabaga pour notre nourriture des appels interminables, debout, sans bouger, qui durent des heures et des heures.

C’est la quarantaine et le départ dans des Commandos de Travail, où nous allons remplacer ceux qui y sont arrivés avant nous, et qui y sont morts.

Vous raconter le travail forcé, vous raconter le bagne, vous décrire la misère, la détresse, des morts vivant sur terre. Nous ne pouvons pas vous en parler, nous vous l’écrirons plus tard.

Pour vous dire simplement, que tous nos camarades qui y sont morts, sont de vrais héros, authentiques dans leur héroïsme. C’est pour eux, que nous témoignons, parce qu’ils étaient les meilleurs d’entre nous. Je ne vous en dirai pas davantage aujourd’hui mais un jour vous saurez tout, car il faut que vous sachiez, c’est notre devoir à nous, et c’est votre droit à vous de savoir.

Combien sont partis ?

– 35 dans les Camps de Concentration dont 15 morts
– 18 dans les Sudètes dont 1 mort

A Montauban, une sélection s’opère :

– d’un côté, les Déportés appelés les Terroristes
– de l’autre côté, ceux des Sudètes
– Travailleurs transférés de force en Allemagne.

Pour notre Canton (en 2009, Canton de La Tronquière)  :

– 35 Déportés (15 Morts)
– 18 P.T.A. (1 Mort)

Pour la France :

Il y a eu 235 000 Déportés dans les Camps de Concentration. 35 000 sont revenus
200 000 sont morts

Au bout de 4 ans, 6 000 sont décédés
20 ans après, plus de la moitié sont morts.

A présent, combien en reste-t-il ?

Cette hécatombe, à elle seule vous dit tout et vous explique tout.

Ces combattants sans armes,
Ces squelettes vivants, qui puisaient encore on ne sait où, la force de marcher ou recroquevillés et agonisants, attendant passivement la fin.

Ces déportés ont été engloutis dans le plus gigantesque génocide qu’ait connu l’histoire.

Le travail forcé, la faim, la soif, la fatigue, l’anéantissement, le typhus, les coups de schlague et de matraque, les bombardements, la mort venait de tous les côtés, mais les Déportés s’accrochaient, ils ne voulaient pas mourir ; celui qui tombait, la schlague du SS le relevait, et il retombait presque aussitôt et cette fois c’était fini.

Nous assistions à ces drames, impuissants et ahuris : la mort étant tous les jours notre compagne, elle nous épiait, nous attendait, nous harcelait.

A la Libération, la Liberté, les yeux grands ouverts, nous la désirions et nous voulions la voir.

Au retour, c’étaient des cadavres qui revenaient, personne plus nous reconnaissait, nous venions d’une autre planète, du fond de l’enfer où nous avions dû laisser tant de monde.

Alors la Mort, la Vie, les Choses, n’avaient même plus la valeur qu’on leur donne.

C’était pareil parce qu’on ne savait plus où on en était. Aujourd’hui, nous savons, que les choses n’ont que la valeur qu’on leur donne.

Nous savons ce que c’est que la Liberté, parce qu’il faut l’avoir perdue pour le savoir.

Nous savons hélas aussi, que l’histoire recommence tous les jours, le même cortège de misère, d’angoisse et de destruction.

Nous savons aussi, que si on oublie, on sera un jour condamné à le revivre.

Nous savons que le temps jette sur toute chose sa poussière impénétrable.

Nous savons que nous sommes tous sursitaires sur la terre.

50 ans après, que reste-il de tout cela, beaucoup de larmes cachées dans les plis des drapeaux qui flottent au vent.

50 ans après, nous continuons cependant à témoigner et pour nous, c’est ce qu’il y a de plus important, aussi important que la vie, la mort et les choses.

Mourir debout et mourir longtemps

C’est toujours notre devise

Et notre espoir.

Parce qu’elle était celle de tous ces héros qui sont morts en terre étrangère, dans les Camps de Concentration et d’Extermination, et que nous honorons aujourd’hui 50 ans après.

 

Docteur René GOUDAL

 

 

 

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